dimanche 29 juin 2014

Rafael Kubelik et Ma Vlast

Le billet suivant est la reprise d.un Quinze que j'en pense du 15 novembre 2011.

Certains propos et hyperliens furent revisés pour cette rééedition.


Il y a une dizaine de jours, j’ai parlé de Glenn Gould et de son association avec les Variations Goldberg. Aujourd’hui, une autre étroite association entre interprète et œuvre, maintes fois endisquée par l’interprète.

L’œuvre

Ma Vlast (trad. Ma Patrie) est un cycle de six poèmes symphoniques de Bedrich Smetana (1824-1884), compositeur tchèque contemporain de Dvořák. Quoique Dvořák ait composé beaucoup de musique avec des accents tchèques, Ma Vlast se distingue comme étant plutôt une œuvre patriotique, disons comme Finlandia de Sibelius, par exemple.

Les six tableaux mêlent la légende, le folklore et l’atmosphère. Les poèmes furent conçus pour être joués ensemble, et Smetana utilise des leitmotivs qui cimentent les tableaux.

Le poème le plus célèbre de l’ensemble, Vltava (la Moldau) a été endisqué par à peu près tous les grands chefs. Il ne faut pas négliger les cinq autres, dont Par les prés et les bois de Bohême qui est en tous points aussi évocateur que Vltava peut l’être.

MQCD propose un enregistrement de Ma Vlast par la philharmonique tchèque sous Vaclav Talich (cliquer ici), et en dépit des limites techniques évidentes, on reconnait le fil soyeux tissé par Smetana et rendu avec fidélité absolue par le vieux maestro.

L’artiste

Le chef tchèque Rafael Kubelik (1914-1996) est issu d’une génération remarquable de chefs nés entre 1908 et 1920, qui compte des noms illustres comme BernsteinKarajan et Giulini. Il étudie au conservatoire de Prague et donne son premier concert avec l'Orchestre philharmonique tchèque en 1937, et deviendra son directeur artistique en 1942, succédant (justement!) à Vaclav Talich.

À l'arrivée du régime communiste, il s'exile en 1948 en Angleterre, puis aux USA. Il devient alors directeur musical de l'orchestre symphonique de Chicago (1950–1953), directeur musical du Covent Garden (1955 -1958). Il dirige également régulièrement la philharmonique de Vienne et la philharmonique de Berlin. Il est nommé, à partir de 1961, directeur musical de l'orchestre de la radiodiffusion bavaroise, poste qu'il occupera pendant près de 20 ans (1961–1979).

Cette dernière association sera des plus fructueuses: il endisquera une intégrale Mahler qui (encore aujourd’hui) fait l’éloge des mélomanes, en plus d’une large panoplie d’œuvres couvrant la période classique et allant aux œuvres modernes de la nouvelle école Viennoise. Son répertoire de prédilection est sans doute la musique tchèque: DvořákJanáčekMartinů et Smetana.

L’association Kubelik / Ma Vlast

Kubelik (encore à Prague en 1947), institua le festival international de musique classique du Printemps de Prague. La tradition veut que le festival débute par le récital du poème symphonique Ma Vlast, et se termine par la neuvième symphonie de Beethoven.

Le mariage Kubelik / Ma Vlast est en effet un mariage des plus réussis: le chef qui se veut un grand sensible et le cœur sur la main musicalement - on ne peut qu’imaginer l’émotion que doit ressentir un Kubelik en exil, qui se donne à fond à l’exécution d’une œuvre aussi patriotique…

L’écoute comparée

Kubelik nous régale donc d’au moins cinq prestations de cette œuvre disponibles commercialement.

Ce qui est important de noter est que les cinq prestations sont de très haut niveau, alliant ferveur, énergie et lyrisme, avec un esprit de synthèse que je ne peux que qualifier d’exemplaire. Ceci est d’autant plus remarquable si l’on souligne que ces cinq prestations couvrent près de 40 ans, et impliquent cinq orchestres différents, tous (sauf un) n’étant pas nécessairement associés avec le répertoire tchèque!

Je vous les propose ici, par ordre chronologique



Chicago Symphony Orchestra (Mercury, 1952)


Ce premier enregistrement de Kubelik date de sa courte association avec le Chicago Symphony. Ce document MONO fut supervisé par les ingénieurs de l’étiquette Mercury, qui étaient (au début des années 50) à la fine pointe de la technologie de l’époque. En dépit du MONO, cette interprétion est spectaculaire, et certains vont même jusqu’à suggérer qu’il s’agît de la meilleure des prestations enregistrées par notre maestro. La dynamique sonore requise par Vltava souffre quelque peu sur ce vieil enregistrement, mais l’ensemble est clair et plein de couleur.
Wiener Philharmoniker (Decca, 1959)

Pour sa deuxième prestation, Kubelik est à Vienne, et endisque l’intégrale en stéréo. Je dois regrettablement pointer du doigt les ingénieurs de DECCA qui, à l’instar de l’équipe américaine de Mercury, réalisent un enregistrement qui manque de définition et de contraste. Même si on a droit à une version stéréophonique, le résultat est généralement inférieur au produit de Chicago.



Boston Symphony Orchestra (DG, 1971)
(Torrent)

Au début des années 70, DG entra dans une collaboration long-terme avec le Boston Symphony, qui nous donna des dizaines d’enregistrements signés OzawaSteinberg et sous des chefs invités tels Claudio AbbadoTilson-Thomas et celui-ci avec Kubelik. Ici, on a droit à un mariage de circonstances qui réussit: le chef qui possède pleinement l’œuvre, la virtuosité sans équivoque (en particulier les bois) du BSO et l’acoustique du Symphony Hall de Boston qui resplendit dans cette prise de son. Sans doute, pour plus d’une quinzaine d’années, cet enregistrement fut la référence pour Ma Vlast.



Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks (Orfeo, 1984)
(Torrent)

Il s’agît ici d’une performance sur le vif, qui réunit Kubelik et son orchestre de la radiodiffusion bavaroise. Un enregistrement numérique, parfaitement valable. Il existe une version DVD du concert, dont voici un extrait YouTube:







Česká filharmonie (Supraphon, 1990)
(Téléchargement)

Contraint par sa santé précaire (particulièrement des problèmes d’arthrite), Kubelik a du prendre une retraite prématurée (pour un chef d’orchestre!), mais avec la fin du régime Soviétique, et les nouvelles libertés offertes aux citoyens de sa patrie natale, il reprit le podium à l’invitation de la philharmonique tchèque en 1990 dans la performance annuelle de Ma Vlast au festival de Prague. Ce disque croque cette prestation du vieux chef sur le vif. Sans contredit, il s’agît ici d’un moment magique, qui est retenu à jamais dans une longue séquence de bits. L’enregistrement numérique est à la hauteur de la prestation, et le résultat est (pour moi) la performance la plus émouvante et sincère de l’intégrale de ces poèmes.


Voici le concert intégral, gracieuseté YouTube:



Bonne écoute!

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